jeudi 18 février 2010

Les maux et les mots de la réforme des retraites

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Le défi des retraites ne se limite pas à la question du financement des régimes d’assurance-vieillesse. Il s’inscrit dans un processus démographique sans précédent qui prend trois aspects :

• L’augmentation par allongement de la durée de vie du nombre des personnes de plus de 60 ans ;
• La stabilisation puis le déclin de la population active ;
• La stabilisation et le déclin de la population totale.

Ce processus concerne, en premier lieu, les pays occidentaux mais aussi les pays émergents voire les pays en développement. Entre aujourd’hui et 2050, tous les Etats ou presque devront résoudre les problèmes que génère cette mutation démographique : financement des retraites, financement de la dépendance et de l’assurance maladie, gestion de l’emploi des seniors…

A l’exception des périodes de guerre et de grandes épidémies, jamais le monde n’a été confronté à un tel défi qui est de nature structurelle et qui comprend tout à la fois des aspects économiques, financiers et sociaux. Les guerres, la peste, le choléra étaient des accidents conjoncturels.

L’instauration de la couverture vieillesse accompagne le développement économique des Etats. Le passage de la société agricole à la société industrielle avec à la clef l’urbanisation a conduit les pouvoirs publics à instituer des dispositifs d’assurance vieillesse. L’assurance vieillesse devient une réalité selon les pays à partir de la première révolution industrielle autour des années 1870 pour se généraliser après la seconde guerre mondiale. Les pays à fort consensus et ayant connu un développement industriel rapide ont été les premiers à mettre en œuvre de larges couvertures vieillesse. La France, plus rurale, moins industrialisée et moins consensuelle, a longtemps tergiversé avant de créer un régime de retraite par répartition obligatoire avec la publication des ordonnances de 1944.

L’octroi d’une retraite constitue au départ une récompense, un dédommagement pour l’effort fourni durant des années. Ainsi, le premier régime de retraite français concerne les marins qui donnaient bien souvent leur vie au Roi.

Dans un pays marqué par la lutte des classes comme la France, les pensions réparent, en partie, le préjudice subi par « l’exploitation » des salariés par le capital. Le débat actuel sur la pénibilité reprend cette thématique.

La France a opté, en 1944, pour un système d’assurances professionnelles associant les syndicats. Ce système censé couvrir tous les risques et tous les actifs n’a jamais atteint ses objectifs du fait de l’opposition des bénéficiaires des régimes spéciaux (qui préexistaient avant l’adoption des ordonnances) que des indépendants (qui ne voulaient pas être placés sous la coupe des syndicats).

Par ailleurs, l’Etat a toujours joué un grand rôle à travers son pouvoir réglementaire. Il a réduit le champ de la négociation sociale au point que les syndicats ont perdu le contrôle dans les faits de l’assurance-maladie. Aujourd’hui, le pouvoir des syndicats dans l’assurance-vieillesse est, de plus en plus, virtuel. La réforme de 1993 a été réalisé en plein été sous forme de décrets ; les lois ultérieures ont donné lieu à des négociations mais selon un calendrier et en retenant les paramètres fixés par l’Etat.

La division syndicale a facilité le transfert de responsabilités au profit de l’Etat. Les syndicats sont, de toute façon, assez heureux d’imputer aux pouvoirs publics l’impopularité des mesures. Ils se cantonnent dans un rôle d’opposants tout en étant officiellement gestionnaires des régimes sociaux.


La France s’est engagée dans la réforme des retraites depuis 1993 afin de limiter l’impact sur les équilibres des régimes de retraite de l’allongement de la durée de vie et de l’arrivée à l’âge de la retraite des enfants du baby-boom en jouant sur les critères paramétriques du système (durée de cotisation, base de calcul de la retraite…).

Les différents plans n’ont jamais adopté ou pris dans le cadre d’un consensus. Un syndicat comme la CFDT a, en 2003, appuyé l’initiative du Gouvernement au prix de divisions internes.

Dix sept ans après le premier train de réformes, le système de retraite entre dans une période de tempête du fait que, depuis 2007, les classes nombreuses du baby boom arrivent à l’âge de la retraite et que l’allongement de la durée de vie poursuit son allongement. La crise a ajouté une composante conjoncturelle à ces facteurs structurels en privant les régimes de base de près de 5 milliards d’euros en 2010.

Les simulations réalisées pour le rapport 2007 sur les retraites par le Conseil d’Orientation des Retraites apparaissent dépassées car elles reposaient sur un taux de chômage de 4,5 % ; une productivité de 1,8 % et d’une croissance de 2 %. Ces hypothèses ont été balayées par la crise. Le COR considère qu’il faudra près de 9 ans pour effacer les scories de la crise sur les équilibres financiers des comptes sociaux. Les résultats du régime de base retraite en 2010 an sont ceux qui étaient prévus en 2020.

Face à cette dérive structurelle et conjoncturelle, le Président de la République a lancé un cycle de négociations qui comporte plusieurs enjeux.

Une des raisons de ce cycle est de prouver aux marchés financiers et donc aux investisseurs internationaux qu’au moment où la dette publique dépasse 80 % du PIB, la France est capable de se réformer et de maîtriser ses déficits publics.

Le second enjeu est de démontrer à l’électorat de droite que le Président et le Gouvernement n’ont pas renoncé à réformer. Il a réussi à piéger Martine Aubry sur le report de l’âge légal.

Depuis le début de son quinquennat, le Président essaie de diviser le front syndical en soulignant leurs divergences (FO est pour le statuquo, la CFDT pour la réforme systémique, la CGC est ouverte au report à 62 ans, la CGT est attentiste…).

Officieusement, les partenaires sociaux, la majorité et une partie de l’opposition sont d’accord sur les grands principes d’une réforme. L’exception française en matière d’âge légal de départ à la retraite n’est pas tenable. Depuis 1945, la durée moyenne de la retraite a été multipliée par deux et celle de la vie active s’est contractée de 8 ans. En 1936, la moitié des jeunes de 14 ans travaillaient ; en 2010, l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail est de 22,5 ans. En 1960, il y avait 4 cotisants pour un retraité, aujourd’hui, il y a 1,5 actifs pour un retraité, en 2030 il y en aura 1,3 et en 2050, 1,2.

Si dans les quarante prochaines années, le nombre de retraités doit être multiplié par deux, celui des actifs a atteint son maximum et devrait décroître sauf immigration dans les prochaines années. Chaque année, plus de 730 000 personnes prennent leur retraite, retraite dont la durée s’allonge en parallèle avec l’espérance de vie.

Les syndicats, en début de négociation, refusent l’idée d’un report de l’âge légal de départ à la retraite qui figure au panthéon des acquis sociaux. Mais, les 60 ans jouent le rôle de butoir. Les salariés comme les entreprises se calent sur cet âge pour gérer leur carrière et leur personnel. Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de problème d’emploi des seniors en France. Le taux d’emploi des 50/59 ans est même supérieur en France à celui de la moyenne européenne ; entre 54 et 59 ans il est de 56 % contre 59 %. C’est pour la tranche d’âge des 60/65 ans où il est nettement en dessous de la moyenne. 16 % des Français sont encore en activité entre 60 et 65 ans contre plus de 30 % au sein de l’Union européenne. Ceux qui poursuivent leur activité au-delà de 60 ans sont essentiellement les cadres et les femmes ne disposant pas des trimestres suffisant pour obtenir une retraite à taux plein. Les 60 ans organise le monde du travail. Bouger le curseur modifiera les comportements. Tous les autres pays ont utilisé ce paramètre. Nos partenaires ont choisi de fixer l’âge de départ entre 65 et 67 ans en moyenne.

La France en privilégiant l’allongement de la durée de cotisation a choisi de contourner le problème des 60 ans. En effet, avec une entrée plus tardive sur le marché du travail, il y aura de moins de moins d’actifs qui disposeront des 41 ou des 42 annuités à 60 ans. Il n’en demeure pas moins que la vie professionnelle continue à s’organiser autour de ce fameux seuil. Le passage à 62 ans permettrait un gain de 6 milliards d’euros soit le montant du déficit structurel actuel de la CNAV. Pour 2020, il faudrait sans nul doute passer à 64 ans. Le passage à 62 ans, tout comme l’allongement de la durée de cotisation, ne peut être réalisé que de manière progressive. Il est difficile d’annoncer à un salarié de 60 ans qu’il devra travailler d’un coup deux ans de plus. De même, pour une entreprise, il est délicat de gérer avec des à-coups les départs à la retraite.

Les syndicats pensent que l’augmentation des cotisations permettrait de résoudre le problème. Certes, il était prévu dans la loi Fillon de 2003 de transférer une partie des cotisations chômage sur les cotisations retraite avec une hypothèse d’une décrue du chômage. Ainsi, un transfert de 0,4 pont était fixé au 1er janvier 2003, un autre transfert de 0,3 point au 1er janvier 2010 et enfin 0,4 point au 1er janvier 2011. Ce basculement aurait du fournir en fin de processus plus de 6,5 milliards d’euros à la CNAV. La crise avec la remontée du chômage a eu raison de cette opération. Est-il alors possible d’augmenter le taux des cotisations vieillesse ? La France figure dans le peloton de tête en matière de coût du travail. Le relever aboutirait à favoriser un peu plus la désindustrialisation et les délocalisations. Le gain en termes de cotisations serait amputé par les pertes générées par l’augmentation du chômage et la contraction de la masse salariale. En outre, d’autres dépenses sociales pourraient également justifier une augmentation de cotisation ou de la CSG, l’assurance maladie ou la dépendance. Néanmoins, il est possible qu’en fin de négociation, le patronat accepte un relèvement des cotisations s’il obtient en contrepartie un geste des syndicats sur les 60 ans.

Les syndicats réclament la prise en compte de la pénibilité du travail. Cette revendication avait été intégrée dans la loi de 2003. Plus de quatre ans de négociation ont débouché sur un échec. Le patronat refuse la création d’un système automatique de reconnaissance de la pénibilité de peur que se multiplient des régimes spéciaux. Le MEDEF est disposé à la mise en place de commission médicale qui étudierait au cas par cas l’état des salariés. Les organisations syndicales demandent que certains métiers soient classés comme pénibles. Peu de pays se sont engagés dans cette voie du fait de la difficulté à définir la pénibilité. En effet, un travail peut se révéler pénible des années après ou en fonction de l’âge du salarié. Faudra-t-il intégrer le stress, les conditions de transport… ? Une des difficultés provient aussi de notre système de base qui est un régime à prestations définies. Le calcul de la pension intervient au moment de la liquidation. Les salariés ayant été exposés à un travail pénible pourrait bénéficier de trimestres supplémentaires ou à des majorations de droit. Ces dispositifs, lourds à gérer, faussent les modalités de calcul. Dans un système par points et en comptes notionnels, il est possible de prendre en compte, plus facilement, l’espérance de vie et d’accroître le nombre de points pour des travailler exposés.

La CFDT en réclamant une réforme systémique a intégré la difficulté de prendre en compte la pénibilité dans le système actuel. En revanche, le basculement du régime général à prestations définies tel que nous le connaissons aujourd’hui en un système par points et en comptes notionnels est anxiogène car il occasionnerait des transferts de revenus entre retraités ; il y aura forcément des gagnants et des perdants. Il est bien connu que les perdants hurlent quand les gagnants restent silencieux. La révolution systémique ne peut être menée que progressivement et sur les bases d’un large consensus comme en Suède. Cette réforme nécessiterait, en outre, de réaliser la fusion des régimes de base avec l’AGIRC et l’ARRCO. Elle serait par nature anxiogène et ne peut être réalisée qu’après une élection présidentielle. Une telle révolution modifie les règles de calcul des retraites et lisse les effets du vieillissement sur les comptes publics mais elle ne garantit pas pour autant un équilibre automatique. Le passage à un régime en comptes notionnels ne permet de supprimer les déficits. A charge constante, il faut toujours trouver 80 milliards d’euros d’ici 2050.

Autre sujet sensible, la modification du mode de calcul des pensions publiques. Aujourd’hui, les retraites des fonctionnaires sont calculées sur la base des salaires des six derniers mois. Le taux de remplacement atteint plus de 70 % quand il est en moyenne de 60 % dans le privé et que de dernier devrait baisser de près de 10 points d’ici 2050. En outre, depuis 2003, les primes sont, en partie, prises en compte avec le Régime additionnel de la fonction publique. L’harmonisation des modes de calcul entre le public et le privé constitue un chiffon rouge pour les syndicats. Le gouvernement a évoqué le sujet afin de le retirer de l’ordre du jour en signe d’apaisement. Il n’en demeure pas moins que les retraites publiques occasionneront un surcroit de 40 milliards d’euros d’ici 2050.

Le Président de la République a fixé son calendrier en tenant compte des différentes contraintes électorales, syndicales et patronales. Entre les élections législatives et celles de la CFDT ainsi que celles du MEDEF, il était impossible d’aboutir avant l’été. De plus, au sein des grandes entreprises, les syndicats participeront à des élections qui détermineront leur représentativité en vertu de la loi adoptée en 2008.


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