vendredi 11 avril 2008

L'inflation, un mal nécessaire

Le ralentissement américain et les conséquences de la crise des subprime se répercutent sur toutes les économies, celles du vieux continent comme celles des pays émergents. Le décrochage des bourses asiatiques témoigne de l’interdépendance des places financières et des économies.

Fidèle à sa tradition, la FED met en oeuvre une politique de soutien à la croissance au risque plus ou moins maîtrisé de favoriser l’inflation. Compte tenu du niveau d’endettement des Etats-Unis et du déficit public qui en raison de l’ampleur des dépenses militaires ne pourra pas être restreint dans les prochaines années, un consensus mou semble s’instaurer en faveur d’une inflation ayant vocation à réduire le poids de la dette.

I. CONJONCTURE ECONOMIQUE INTERNATIONALE

La crise des subprime qui pourraient générer de 265 à 600 milliards d’euros de pertes (source l’autorité de contrôle bancaire allemande) marque la fin d’un cycle économique et financier d’autant plus que l’éclatement de la bulle immobilière s’accompagne d’une hausse des cours des matières premières. En 2001, l’économie réelle avait remporté une bataille sur l’économie virtuelle ; en 2008, c’est le secteur primaire qui en remporte une seconde.

Le ralentissement des économies avancées se poursuit

Au sein des économies avancées, le ralentissement est désormais clairement engagé. Au quatrième trimestre de 2007, la croissance d'ensemble n’a pas dépassé +0,4 %, La forte croissance du Japon a toutefois surpris à la hausse (+0,9 %), en raison d’un rebond ponctuel de l’investissement des entreprises, et la croissance américaine à la baisse (à peine +0,2 %).

La croissance des pays émergents reste vigoureuse mais pourrait être touchée par un retournement des places financières

Jusqu’à maintenant, le ralentissement des anciens pays industrialisés ne semble pas toucher les économies émergentes dont l’activité économique reste vigoureuse.

La Chine a par exemple de nouveau enregistré une croissance à deux chiffres en 2007, portée par un investissement productif exceptionnellement dynamique (+26 % en glissement annuel fin 2007) et un commerce extérieur toujours en croissance (excédent commercial de 260 milliards de dollars en 2007, en progression de 45 % par rapport à 2006). Certains États, comme le Brésil ou la Russie sont passés de la quasi-faillite à la fin des années 1990 à une situation de pays créditeurs. Ces marges de manœuvre pourraient permettre aux pays émergents de résister au ralentissement mondial dont ils limiteraient ainsi l'ampleur. Il n’en demeure pas moins que la santé de ces économies est liée au maintien à un prix élevé des cours des matières premières.

La suspicion sur les titres mobiliers aboutit à un transfert de liquidité sur les matières premières entretenant le processus de hausse enclenché depuis plus d’un an. Un éventuel ralentissement de la zone Chine/Inde après les Jeux Olympiques pourrait provoquer l’éclatement de la bulle en cours de formation.

Situation américaine

Le marché immobilier américain continuerait de peser sur la conjoncture américaine

L’incertitude perdure quant aux pertes des institutions financières et le nombre de défaillances aux États-Unis en matière de prêts immobiliers est attendu en forte hausse en 2008. L’ajustement du marché immobilier n’est pas terminé : les ventes de logements continuent de baisser, les stocks de logements sont au plus haut depuis la crise de 1978 et les mises en chantier sont au plus bas. La chute de l’investissement en logement des ménages continuerait par conséquent d’amputer la croissance américaine.

Par voie de conséquence, la consommation devrait fléchir. Par ailleurs, la situation sur le marché de l’emploi se dégrade (63 000 emplois ont été détruits en février) ; l’inflation vient éroder le pouvoir d’achat et le recours à l’endettement devient moins facile.

Seul le commerce extérieur soutiendrait la croissance, en raison notamment de la dépréciation du dollar. Le risque d'entrée en récession n’est donc pas nul, même si les commentateurs semblent exagérer la situation (+0,1 % de croissance au premier trimestre et 0,0 % au deuxième selon la moyenne des Instituts).

Situation européenne

Conformément aux principales prévisions des instituts de conjoncture, l’économie européenne enregistre une décélération de sa croissance avec une inflation en progression.

Face au ralentissement de l’économie américaine, les différents Etats européens ont révisé à la baisse leur taux de croissance dont celui la France qui est pénalisée par l’état dégradé de ses finances publiques et par l’importance de son déficit commercial.

L'inflation dans la zone euro a atteint 3,5 % sur un an en mars, un nouveau record depuis la création de cette zone en 1999, selon une première estimation publiée lundi 31 mars par l'Office européen des statistiques.

Cette inflation est en grande partie imputable aux cours des matières premières et de l’énergie. Jusqu’à maintenant, les coûts salariaux n’ont pas enregistré de hausse.

Les prix du pétrole qui ont atteint de nouveaux records au-delà de 110 dollars le baril en mars ; la hausse dépasse 40 % par rapport à la moyenne de 2007.

Ce nouveau record de l'inflation dépasse légèrement les attentes des économistes, qui tablaient sur une hausse des prix à la consommation de 3,4 % en mars.

Cette hausse des prix à la consommation dépasse la limite tolérée par la Banque centrale européenne, dont l'objectif à moyen terme est une inflation en zone euro proche – mais en dessous – de 2 %.

La hausse des prix avait atteint un précédent record de 3,3 % en février, après 3,2 % en janvier et 3,1 % en décembre. Il faut remonter à mai 2001 pour trouver un niveau de 3,1 %, mais l'inflation n'avait jamais dépassé cette limite depuis la création de statistiques pour la zone euro.

De ce fait, la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu jeudi son principal taux directeur inchangé à 4%, a indiqué un de ses porte-parole, une décision attendue par les marchés et les économistes.

La Banque d'Angleterre suivant la FED a encore abaissé son principal taux directeur d'un quart de point à 5,25%, une décision largement anticipée.

Pour la BCE, la majorité des économistes s'attendent à une réduction de taux au deuxième trimestre seulement, quand les signes de détérioration de l'économie seront devenus plus palpables, reléguant les inquiétudes pour l'inflation au second plan.

La confiance économique au plus bas depuis novembre 2005

L'indice de confiance économique a baissé plus qu'attendu en mars dans la zone euro, atteignant son plus bas niveau depuis novembre 2005, selon une enquête publiée lundi 31 mars par la Commission européenne. Il s'est établi à 99,6 points en mars, contre 100,2 points en février. Les économistes interrogés par l'agence d'informations financières Thomson Financial News s'attendaient à un recul moins important, à 99,9 points. L'indice du climat des affaires, qui mesure la confiance des seuls industriels, a quant à lui rebondi en mars, à 0,80 point contre 0,71 point en février.


Prévisions printemps OCDE




II. ECONOMIE FRANÇAISE


Taux de croissance :

2008 : 1,7 à 2 % prévision
2007 : 1,9 %
2006 : 2,2
2005 : 1,7

Déficits publics : 2,7 % du PIB en 2007 contre 2,4 % en 2006 ; objectif 2008 : 2,5 %
Dette publique : 64,2 % du PIB en 2007 contre 63,6 en 2006
Dépenses publiques : 52,6 % du PIB en 2007 contre 52,7 % du PIB en 2006
Prélèvements obligatoires : 43,5 % du PIB contre 43,9 % du PIB
Déficit commercial : 39,7 milliards d’euros
Chômage : 7,5 % ; 350 000 créations d’emploi en 2007 ; 750 000 départs à la retraite


La France se caractérise par un taux de croissance faible et d’autant plus faible que sa population augmente plus rapidement que celle de ces principaux partenaires dont en premier lieu l’Allemagne. Elle se caractérise par une balance commerciale fortement dégradée (39,6 milliards d’euros de déficit contre un excédent de plus de 200 milliards d’euros en 2007 en Allemagne).

En revanche, la situation de l’emploi connaît une nette embellie.

En 2007, plus de 350 000 emplois ont été créés en France, soit davantage encore qu’en 2006 où le marché du travail avait déjà été particulièrement dynamique (+283 000 emplois). Cette performance tient en grande partie aux secteurs marchands. Les plus créateurs d’emploi sont les services aux entreprises (+122 000 emplois), les services aux particuliers (+89 000 emplois) et la construction (+59 000 emplois).

96 000 emplois créés au premier semestre 2008 sont prévus. De ce fait, le taux de chômage demeurerait à 7,5 %

Contrairement au débat sur la question du pouvoir d’achat, le revenu des ménages a été particulièrement dynamique en 2007

L’amélioration continue du marché du travail depuis le début de 2006 a entretenu le dynamisme de la masse salariale. En 2007, celle-ci aurait crû de 4,1 %. Les mesures fiscales de soutien au pouvoir d’achat (réforme du barème de l’impôt sur le revenu, hausse de la prime pour l’emploi, baisse des cotisations salariales liées à la défiscalisation des heures supplémentaires) ont par ailleurs contribué à une très nette accélération du revenu des ménages (+4,7 % en moyenne annuelle). Corrigé de l'inflation, le revenu des ménages aurait ainsi augmenté de 3,1 % en 2007.

En revanche pour 2008, un ralentissement est prévu. Au premier semestre de 2008, les salaires resteraient dynamiques en raison de la bonne tenue du marché du travail. Le revenu des ménages devrait en outre bénéficier des effets favorables de la loi TEPA. L’impôt sur le revenu devrait toutefois retrouver un rythme de progression plus en ligne avec la croissance du revenu. Au total, le revenu des ménages augmenterait de 1,9 % au premier semestre de 2008.

Compte tenu de la progression des prix, plus de 3 % en rythme annuel, les gains de pouvoir d’achat seraient faibles en prévision…

En raison de la forte hausse des prix à la consommation et de la perte de dynamisme des revenus nominaux, le pouvoir d’achat du revenu des ménages devrait à peine progresser au premier semestre (environ +0,1 % par trimestre). Les ménages devraient néanmoins amortir l’impact de ce ralentissement du pouvoir d’achat sur la consommation, en tirant sur le surcroît d'épargne accumulé en 2007.

Selon l’INSEE, la consommation résisterait au ralentissement marqué du pouvoir d’achat du revenu des ménages. Elle progresserait sur un rythme un peu inférieur à sa tendance de longue période (+0,5 % au premier trimestre puis +0,4 % au deuxième).

L’investissement des ménages devrait stagner

L'investissement en logement continuerait de ralentir après le rebond temporaire du quatrième trimestre : les prix immobiliers demeurent à un haut niveau et les conditions d’octroi des prêts se durcissent.

L’investissement des entreprises a été dynamique en 2007

Sur l’ensemble de l’année 2007, l’investissement des entreprises a augmenté de 4,9 %. L’investissement en bâtiment et travaux publics a été particulièrement dynamique (+7,3 %). Au quatrième trimestre, l’investissement total aurait toutefois fortement ralenti sans le rebond temporaire de la formation brute de capital fixe en bâtiment et travaux publics.

Au début de l’année 2008, l’investissement productif ralentirait (+0,5 % en moyenne par trimestre). En effet, les perspectives de demande seraient limitées par le tassement de l’activité et les turbulences financières ont provoqué le renchérissement des emprunts privés par rapport aux emprunts publics. L’investissement en construction, notamment en travaux publics, ralentirait nettement.

La production a nettement ralenti au quatrième trimestre de 2007 : +0,4 % (+0,5 % hors effet des grèves dans les transports publics). Le ralentissement devrait se poursuivre : +0,4 % au premier trimestre (+0,3 % hors effet des grèves), et +0,3 % au deuxième. En effet, en début d’année le climat des affaires s’est effrité dans l’industrie et fortement détérioré dans les services, revenant ainsi à son plus bas niveau depuis décembre 2005.

La production de services marchands devrait pâtir du léger tassement de la consommation des ménages. La production manufacturière resterait atone.

La croissance du PIB se tasserait en début d’année

Après une croissance du PIB de 1,9 % en 2007, le contexte économique serait moins favorable début 2008. Le Gouvernement a abaissé le taux de croissance de 2,2 à 1,7 à 2 %.

Au mois de mars 2008, la perception de la situation économique par les ménages a atteint son plus bas niveau depuis la création de l’indice par l’INSEE. Depuis le mois de juin 2007, une chute de 23 points a été enregistrée. En revanche, le moral des industriels reste élevé. Le pessimisme des ménages s’explique par la montée de l’inquiétude devant la résurgence de l’inflation et des pertes potentielles de pouvoir d’achat. L’amélioration du marché de l’emploi est trop récente pour avoir été pris en compte par les ménages.

Pouvoir d’achat, la quadrature du Cercle

Après avoir vigoureusement augmenté durant les années de forte croissance (+ 3,4 % par an en moyenne sur 1998-2002), il a continué à progresser ces dernières années y compris en 2007 (+ 1,9 % par an en moyenne sur 2003-2006). Depuis plus d’un an, la question du pouvoir d’achat est au cœur du débat public. Comme le souligne l’économiste Florence Legros dans une tribune de l’Argus de l’Assurance, le bien-être est une valeur subjective. Les arguments chiffrés sont de faibles poids face au ressenti. A la recherche de boucs émissaires, les Français considèrent que c’est de la faute de l’euro, du pétrole ou du gouvernement. La situation des retraités est intéressante à étudier. En effet, en prenant en compte leur patrimoine, ils bénéficient d’une parité de pouvoir d’achat avec les actifs . Ces données ne les empêchent pas de considérer qu’ils sont touchés par la baisse du pouvoir d’achat. Par ailleurs, les Français possèdent d’imposants de bas de laine. Leur taux d’épargne est de plus de 15 % du revenu disponible brut. Anxieux de nature, ils privilégient les placements à court terme bien qu’ils bénéficient d’un large système de protection sociale. Les études d’opinion démontrent que les Français économisent comme s’ils n’avaient pas confiance dans la pérennité de l’État providence. Cette méfiance doit être une rémanence de notre culture paysanne et notre tradition individualiste. Face aux défis que nous impose l’allongement de l’espérance de vie et compte tenu des faibles marges de manœuvre budgétaires, le côté fourmi des Français ne sera pas inutile. D’ici vingt ans, il faudra dégager que ce soit sous forme de prélèvement public ou sous forme d’épargne affectée, près d’un point de PIB pour financer la dépendance, deux points pour financer les retraites et au moins un point pour assurer l’équilibre de l’assurance-maladie. Il nous faudra trouver en euros d’aujourd’hui plus de 70 milliards d’euros, soit plus d’une fois et demi le montant de l’impôt sur le revenu. L’enfer n’est peut-être pas pour demain à condition de ne pas succomber à la dictature de l’émotion et de l’immédiat.
Philippe Crevel